Le médecin Bertrand résume la progression du mal en ce début de juillet 1720 : après les marins sur le bateau, les gardes et les portefaix aux Infirmeries, les artisans, en contact avec les tissus, étaient morts en ville intra-muros. La peste s’était donc bien trouvée à bord du Grand-Saint-Antoine.
Le 7 juillet 1720, le premier chirurgien de santé Gairard reconnaissait la peste dans les bubons apparus sur trois autres portefaix attachés au service du Lazaret. Cependant, il continuait de propager le mal en rentrant chez lui le soir et en visitant des malades en ville. Le 10 juillet, le jeune Jean-André Peyssonnel, médecin comme son père Charles (mort de la peste en septembre 1720), diagnostiquait lui-aussi la peste chez le jeune malade de la rue Jean Galant.
Peysonnel avait informé l’échevinat mais ce dernier avait méprisé son avis. Tout en espérant vainement que le mal resterait confiné au Lazaret, les échevins informèrent néanmoins les autorités administratives régionales de la situation et firent rechercher les effets des passagers du Grand Saint-Antoine, lesquels avaient déjà malheureusement débarqué trois semaines auparavant. Ils envoyèrent enfin la cargaison du Grand Saint-Antoine sur l’île de Jarre. Hélas ! C’était trop tard. Il n’y avait plus rien à faire. La peste avait commencé ses ravages intra-muros.
Le Père Giraud remarque que ce débarquement de voyageurs fut une cruelle erreur due au fait qu’il avait fallu sauver la précieuse cargaison du Grand Saint-Antoine, laquelle valait environ cent mille écus, et qu’il fallait vendre à la très prochaine foire de Beaucaire. Raison pour laquelle on avait toujours parlé de façon ambiguë des affaires regardant le navire du capitaine Chataud.
Voici ce qu’en disait Jean-Baptiste Bertrand:
« Ce qu'il y a de bien certain là-dessus, c'est que la peste étoit véritablement dans le bord du Capitaine Chataud ; que ses marchandises l’ont portée dans les Infirmeries, qu'un des premiers malades qui ont paru dans la ville, n'en étoit sorti que depuis quelques jours avec ses hardes ; que les premières familles attaquées ont été celles de quelques Tailleuses, de Tailleurs, d'un Fripier, gens qui achètent toutes sortes de hardes & de marchandises \ celle du nommé Pierre Cadenel vers les Grands-Carmes, fameux Contrebandier, & reconnu pour tel, & d'autres Contrebandiers, qui demeuraient dans la rue de l Escale & aux environs , que le Faux-bourg qui est près des Infirmeries, a été attaqué en même temps que la rue de l'Escale; & qu'enfin il y avoit alors de nouvelles défenses d'entrer les Indiennes & les autres étoffes du Levant. Nous laissons à chacun la liberté de faire les réflexions qui suivent naturellement de tous ces faits ».
« Mrs. Peissonnel & Bouzon continuèrent à visites les malades ; & sur leur déclaration, on continue de les [les malades et les morts] transporter aux Infirmeries , toujours dans la nuit pour ne pas alarmer le Public ; & les Consuls animés d'un nouveau zèle, assistent tour-à-tour en personne à ces expéditions nocturnes. Mr. Peissonnel accablé des infirmités de l’âge, se décharge de ce travail sur son fils, jeune Médecin, qui n'étoit pas encore agrégé. Ce jeune-homme, ne prévoyant pas les conséquences, répandit la terreur dans toute la Ville , & publia partout que la peste étoit dans tous les quartiers. Il l'écrit de même dans les villes voisines qui prirent aussi l’alarme, & s'interdirent tout commerce avec Marseille : c'est en conséquence de ces lettres que le Parlement de Provence rendit cet arrêt fulminant le 2 juillet, par lequel il défend toute communication entre les habitans de la Province & ceux de Marseille sous peine de la vie ».
Voici le témoignage du Père Giraud:
« Le 9 [juillet], (...) on ne sçavoit plus ce qui s’y passoit. Si le public en eut été informé, chacun auroit pris ses mesures : mais on avoit toujours parlé ambigument de tout ce qui regardoit le navire de Chataud. Sa cargaison valait environ cent mille écus. On vouloit sauver ce fond. Ses participes avoient toute autorité pour le conserver. C’est pourquoi on parloit toujours mystérieusement de tout ce qui se passoit dans les Infirmeries. Le peuple ne pouvant pas approfondir la vérité, se flatta qu’il n’y avoit point de peste. Elle y étoit pourtant réellement puisqu’elle fut porté de là dans la ville ».
