Face à une situation qui paraissait de plus en plus apocalyptique, les Marseillais de ce temps s’en remettaient entièrement à Dieu pour qu’il fasse cesser le fléau et ils voulaient mourir confessés et absous de leurs péchés afin d’assurer leur Salut. Dès le début septembre tant de religieux étaient morts en assistant les morts et les malades que ces derniers, mouraient désormais seuls, sans aucun secours spirituel. Pichatty de Croissante, le Dr Bertrand ou le Père Giraud, nos trois témoins privilégiés, parlent de l’héroïsme de l’action des prêtres qui ne se ménagèrent pas et moururent à la tâche « en martyr ».
Les capucins, les Jésuites, les Récollets s’étaient particulièrement distingués parmi tous les ordres religieux présents à Marseille. Le Dr Bertrand évoque la figure et l’action du Père Jésuite Millet déjà cité.
Pichatty de Croissante :
« Le 4 rien n’est plus déplorable, que de voir ce nombre infinis de malades & de moribonds dont toute la ville se trouve remplie, autant privée de secours spirituels que temporels ; & réduits au triste et malheureux sort, de mourir presque tous sans confession.
« Il ne manquoit pas à la vérité de ministres du Seigneur, tant du clergé séculier que régulier, qui s’étoient dévoués à sacrifier leurs vies pour le salut des âmes, & à assister et confesser les pestiférés ; il ne manquoit pas même de saints héros (car il faut appeler de ce nom tous les Capucins & Jésuites des deux Maisons de St-Jaume et de Ste-Croix, & même tous les Observantins, tous les Récolets et quelques autres) qui avec un courage plus qu’héroïque, une ardeur, une charité, & un zèle infatigable, couroient par-tout, & se précipitoient même pour aller dans les maisons les plus abandonnées et les plus empestées, dans les rues et les places les plus traversées de cadavres pourris, & dans les hôpitaux les plus fumans de la Contagion, confesser les pestiférés, les assister à la mort, et recueillir les soupirs contagieux et empoisonnés, tout comme si c’étoit de la rosée.
Mais ces sacrés ouvriers qu’on peut regarder comme de vray martyrs (puisque ceux qui dans Alexandrie sous l’Episcopat de St Denis, eurent la charité d’assister les pestiférés, furent honorés de la gloire de martyre) la mort les a déjà presque tous enlevés, lors que dans une si grande mortalité leur secours est le plus nécessaire... »
Le Dr Bertrand :
« Parmi toutes les Communautés Religieuses de cette Ville, trois se sont distinguées sur toutes les autres, par le nombre des Ouvriers Evangéliques qui se sont dévoués au service des malades. Les Capucins, les Récolets, & les Jésuites. Les deux premiers se sont distribués dans les Paroisses, allant dans tous les quartiers & dans toutes les rues infectées ; & leur zèle n'a fini qu'avec leur vie. Ils remplaçoient d'abord ceux qui mouroient, & quand ceux de la Ville ont manqué, ils en ont fait venir des Villes voisines. Ils portoient le poids du jour & de la chaleur ; ils parcouroient les rues & les places publiques qui étoient l’asyle ordinaire des malades ; fidèles Disciples du Sauveur, ils alloient comme lui guérissant & répandant par-tout les grâces & la vertu des Sacremens. Les Récollets ont perdu vingt-six Religieux, & quelques-uns ont heureusement guéri. Les Capucins sur-tout ont fourni un grand nombre de confesseurs à la Ville & aux hôpitaux , & fur-tout dans ces lieux d'horreur, dont l'abord auroit rebuté le zèle le plus vif & le plus ardent. Il en est mort quarante-trois, & douze qui ont échappé du mal ; parmi tous ceux-là, vingt-neuf étoient venus des autres Villes, pour se sacrifier dans ceIle-ci.
Les Jésuites se sont encore signalés. Une société dont Institution n'a pour objet que la gloire de Dieu, & ne leur donne pour occupation que le salut des âmes, ne pouvoît pas manquer de saisir une si belle occasion de satisfaire à l'un & à l'autre ; aussi se sont-ils tous sacrifiés, en sorte que de vingt-neuf qu'ils étoient dans les deux maisons, deux ont été garantis de la maladie, neuf en ont relevé, & dix-huit y ont succombé. Parmi ces derniers, nous distinguons le Père Millet, dont le zèle n'avoit jamais connu de bornes, qui avoit toujours été dans toutes les œuvres de charité qui se trouvent dans une Ville, à qui la conduite de deux nombreuses Congrégation, & la direction d'une infinité de personnes pieuses laissoit encore du temps pour le ministère de la parole, pour la visite des prisons, des hôpitaux, & pour toutes les autres œuvres de miséricorde ; ce Père a fait voir dans cette contagion, quelle peut être l’étendue d'une charité, que l'esprit du Seigneur anime. Il choisit pour son département le quartier le plus scabreux, celui où le mal avoit commencé, où la moisson étoit la plus abondante, & où il y avoit le moins d'Ouvriers ; où enfin toutes les horreurs de la misère, de la maladie & de la mort se montrèrent avec tout ce qu'elles ont de plus hideux & de plus rebutant ; &comme si l’emploi de Confesseur n'avoit pas suffi à son zèle, chargé des aumônes que les gens de bien mettoient entre ses mains, comme autrefois les Fidèles aux pieds des des Apôtres, il joignit à cet emploi celui de Commissaire de ces quartiers abandonnés. II y établit une cuisine, où des filles charitables faisoient le bouillon pour les pestiférés ; il alloit par-tout distribuant des aumônes abondantes aux sains & aux malades, toujours suivi d'une multitude de Pauvres ; son zèle ne se bornoit pas à ces quartiers qui étoient commis à ses soins, il se répandoit encore dans tous les autres & par-tout où le salut de ses frères l'appelloit. J'ai eu moi-même la consolation d'en être visité dans mes malheurs... »
