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Une course au mariage très imprudente

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Les couples ne songeaient déjà plus qu’à convoler en justes noces et ces unions étaient des motifs de rassemblements à l’église rouverte pour la circonstance. C’était là l’occasion de nouvelles contaminations.

Quantités d’artisans et de gens « de toute sorte d’état » s’étaient retrouvés veufs et, d’autres, enrichis par leur travail pour les hôpitaux, recherchaient une conjointe parmi les veuves ou les orphelines. Ces mariages donnaient lieu à des attroupements festifs de survivants qui s’exonéraient du deuil sans dissimuler leur joie de vivre : « l'on vit succéder à la plus triste désolation, les jeux, les plaisirs, les festins, le dirai-je ? les bals et les danses », s’indignait le Dr Bertrand en fustigeant les entremetteuses qui avaient repris leurs activités de rabattage. Cette extraversion et ces rituels, qui ne respectaient ni les convenances sociales, ni les plus élémentaires mesures de sécurité sanitaire, contrevenaient à la bienséance et, qui plus est, risquaient par leurs conséquences de rallumer un mal assoupi. Car ne voyait-on pas se marier des couples « avec des plaies encore fumantes de peste » ? Le commandant Langeron s’entendit donc avec l’évêque Belsunce pour que le clergé ne donnât des autorisations de mariage qu’à celles et ceux qui auraient préalablement obtenu des certificats de santé délivrés par les médecins.

Le Dr Bertrand

« Un autre abus bien singulier contribua aussi à grossir le nombre de nos malades. Le croira-t-on ? à peine le feu de la Contagion se fut-il un peu ralenti, que le Peuple, impatient d'en réparer les désordres, ne pensa plus qu'à repeupler la Ville par de nouveaux Mariages ; semblable à ceux qui arrivez au Port, & oubliant le danger de la Tempête, dont ils viennent d'échaper, cherchent à s'étourdir & à noyer dans de nouveaux plaisirs, le souvenir de leurs malheurs passez. Nos Temples fermez depuis si long-tems, ne furent presqu'ouverts alors que pour l'administration de ce Sacrement. Une nouvelle fureur saisit, pour ainsi dire, les personnes de l'un & de l'autre sexe, & les portoit à conclure dans les 24 heures l'affaire du monde la plus importante, & à la consommer presque sur le champ. On voioit des veuves, encore trempées des larmes, que la Bienséance venoit de leur arracher sur la mort de leurs maris, s'en consoler avec un nouveau, qui leur étoit enlevé peu de jours après, & pour la mémoire duquel elles n'avoient pas plus d'égard que pour celle du premier. Ces mariages publiez à la porte de nos églises, sembloient inspirer la même fureur à tous les habitans. Cette passion de multiplier l'espèce, se perpétua, & prit encore de nouveaux accroissemens dans les autres mois, de sorte que nous pouvons assurer que si le terme ordinaire des accouchemens avoit pû être abrégé, nous aurions bientôt vu la ville aussi peuplée qu'auparavant. Laissons décider aux Médecins si cette folle passion est une suite de la maladie populaire, pendant que nous chercherons des raisons plus sensibles, & les motifs vraisemblables de ces nouveaux mariages.

« Un nombre infini d'artisans & de gens de toute sorte d'état, étoient restez sans femme, sans famille, sans parens, & même sans voisins. Ils ne savoient que devenir : occupez à leur travail ordinaire, ils n'avoient pas le temps de se préparer les moyens de se soutenir, & de survenir à leurs besoins ordinaires. Cette raison jointe à bien d'autres, les mit dans la nécessité de se marier. Plusieurs, à qui la misère & la pauvreté ne permettoient pas auparavant de penser au mariage devenus riches tout-à-coup ou par des gains immenses qu'ils avoient faits en servant les malades, en aportant les morts des maisons à la rûë, & dans les places publiques, & souvent par des voies plus courtes & plus aisées, ou enfin par la mort d'une ou de plusieurs familles, auxquelles ils ne tenoient que par quelque degré de parenté fort éloigné, se virent d'abord en état d'être recherchés.

« D'un autre côté quantité de filles de tout âge, autant embarrassées de leur état que d'un bien considérable dont elles venoient d'hériter par la mort de tous leurs parents, ne croioient pas avoir de meilleure ressource que celle d'un mari qui les débarasseroit bientôt des soins pénibles d'une administration, & surtout celles que quelque difformité naturelle rendoit le rebut de leur famille, & qui avant l'extinction totale de cette même famille ne pouvoient se promettre qu'un couvent pour partage. Car c'étoit souvent ces sortes de filles qui avoient survécu à toutes leurs familles. Des jeunes gens, que la crainte d'un père avoit empêché jusqu'alors de contracter un mariage peu sortable, affranchis de cette dépendance, & devenus leurs maîtres, se hâtoient de satisfaire une aveugle passion, qui les possedoit depuis long-temps, & de dissiper un bien, dont ils ne s'attendoient pas de jouir si-tôt. Tels furent les motifs de la plus part de ces mariages, qui firent bientôt disparoître du milieu du peuple la tristesse & la consternation, que la terreur du mal y avoit répandues. C'est alors que toutes ces maisons où peu de jours auparavant l'on n'entendoit que pleurs & que gémissemens, ne retentirent plus que de cris de joye, & d'allegresse & que l'on y vît succéder à la plus triste désolation les jeux, les plaisirs, les festins, le dirai-je ? les bals, & les danses. Étrange aveuglement ! qui en nous rendant insensibles à tant de malheurs, peut nous en attirer encore de plus grands pour l'avenir !

« Tous ces mariages, cependant conclus avec tant de hâte & consommés de même, firent de nouveaux malades. Car tantôt c'étoit un jeune-homme nouvellement débarqué, que de charitables entremetteuses saisissoient, pour ainsi dire, au collet, et dont elles arrachoient le consentement, en lui faisant signer un contrat de mariage, sans qu'il sçût presque de quoi il s'agissoit. Un autre surpris, autant par l'infection de l'air que par l'agitation de ce nouvel exercice, ne tardoit guères de contracter aussi la maladie. Tantôt c'étoit une femme, ou un homme qui se marioient avec des plaies encore fumantes de peste, qu'ils ne manquoient pas de se communiquer mutuellement. C'étoient enfin des gens, dont le mal ne s'étoit purgé par aucune supuration extérieure ; en ceux-là sur tout , le venin pestilentiel n'étant ny détruit ny évacué, mais seulement assoupi, reprenoit bien-tôt son action par celle du mariage. Pour prévenir tous ces abus & tous ces désordres, qui ne pouvoient que perpétuer le mal, il fut convenu entre Mr l'Evêque & Mr le Commandant, qu'on ne donneroit des lettres ou permission de se marier, qu'à ceux qui rapporteroient des certificats de santé des médecins, que le calme de la maladie rendoit presque tous oisifs. En effet ils furent plus occupez depuis ce tems.-Ià de ces visites désagréables de gens qui vouloient se marier, que de celles des malades, qui étoient en fort petit nombre vers la fin de Novembre ».

Le Père Giraud :

« Le 27, on publioit cette ordonnance dans le terroir afin que chacun s’y conformoit, en on en laissoit des exemplaires à tous les capitaines pour empêcher plusieurs mariages illégitimes et concubinages, on expédioit facilement des lettres de mariage à tous ceux qui en demandoient dans le secrétariat de M. l’évêque, on y venoit en foule et les curés n’avoient plus d’autre occupation que celle d’examiner sommairement et d’autoriser des mariages à la porte de leurs églises. Ces nouveaux mariages produisoient souvent de nouveaux malades et de nouveaux morts sans que la crainte fut capable de réprimer dans la populace des mouvements dérréglés, qui seroient au-delà de la dissolution. Les excès étoient pernicieux en cette conjoncture de tems, encore plus qu’en toute autre à cause qu’on soit fort susceptible du mal, on devoit être sobre et modéré, il ne convenoit pas de mettre trop le sang en mouvement, la crapule et la colère en avoient tué plusieurs. Comme l’une des deux personnes mariées et souvent toutes les deux étoient convalescentes, l’une donnoit la peste à l’autre, aussi on voyoit quelques [fois] en moins de six semaines une même personne en épouser successivement trois différentes ».

Date début