La désinfection était une opération qui faisait, elle aussi, l’objet d’une surveillance étroite de la part des autorités urbaines. Les maisons infectées ou soupçonnées de l’être avaient été marquées d’une croix rouge. La désinfection était exécutée sous la surveillance des commissaires des quartiers et des îlots. Ceux-ci accomplissaient toujours deux rondes quotidiennes dans leur secteur et agissaient selon un protocole sanitaire très strict. Dans le secteur de la Charité, des religieux devaient également veiller à la désinfection des lieux de culte.
C’était donc la police qui procédait à la désinfection après avoir inspecté soigneusement la maison pestiférée de la cave au grenier à la recherche de cadavres dissimulés. Ce travail n’était pas dénué de risques. La police faisait lessiver matelas, paillasses, draps, couvertures, oreillers, linges. Les effets ayant appartenu aux défunts devaient être plongés dans des cuves d’eau bouillante, puis fraîche, et être séchés à l’air libre. Des mobiliers et des hardes étaient brûlés dans un but prophylactique. Les miroirs et les métaux étaient lavés à l’eau de vie ou au vinaigre. Les sols étaient nettoyés comme les murs qui étaient ensuite chaulés. Les habitations étaient aérées pour désinfecter les rideaux, les tapisseries, les chaises… Puis, les policiers procédaient « aux parfums » trois fois par jour, tous les deux jours, en précipitant les ingrédients (souffre, antimoine, arsenic, camphre, cinabre, baies de laurier, graines de genièvre, clous de girofle, gingembre, valériane, salpêtre) dans le feu de sorte que l’habitation était complètement enfumée entre deux aérations.
Comme il a été mentionné antérieurement (Publication # 14), ces pratiques renvoient à la tradition de la médecine hippocratique : l’air étant considéré comme le premier facteur de risque sanitaire, il importait de le purifier pour ne pas s’exposer à la corruption par contamination avec les objets corrompus.
Les hardes les plus misérables étaient emportées par les fameux tombereaux et déposées le long des remparts pour y être brûlées. C’était là le lieu de dépôt ordinaire de tous les immondices de la ville par temps d’épidémie ou non. Pendant ce temps, blanchisseuses, lavandières, particuliers blanchissaient le linge aux lavoirs et jusque dans les fontaines publiques. Les lessives séchaient sur des fils tendus sur le Cours lui-même.
Le Père Giraud :
« Le 5, on continua de s’assembler dans l’hôtel de ville pour prendre les plus justes mesures pour pouvoir purger et désinfecter généralement toutes les maisons de la ville où il y avoit eu des morts ou des malades, il y en avoit peu qui en eussent été exemptés. C’étoit donc là une entreprise de longue haleine également importante et périlleuse.
« Le 8, on publia une ordonnance de la part de Mrs les magistrats pour prescrire à tous les commissaires ce qu’ils devoient faire tant pour empêcher ce qui pouvoit contribuer à entretenir la contagion dans la ville ou l’augmenter, que pour concourir à la désinfection de toutes les maisons.
« Le 12, on ne se servoit guère plus des tomberaux dans la ville que pour nettoyer les rues et transporter les haillons et les ordures le long des remparts. Les personnes les plus timides qui avoient restées enfermées quatre mois dans leurs maisons commençoient d’en sortir avec crainte, et s’accoutumoient ainsi peu-à-peu dans les rues et dans les places publiques qui n’étoient pas si sales que les traverses. Comme on ne lavoit plus les lessives que dans les rues où l’on avoit ouvert plusieurs fontaines, le Cours et le port furent les […] publics où les lavandières et les blanchisseuses attachoient de longues cordes et étendoient leur linge. Ce n’étoient pourtant là que des gens qui avoient eu le mal et qui blanchissoient le linge de ceux qui en étoient échapés. Ceux qui s’étoient conservés en santé jusques alors blanchissoient eux-mêmes leur linge. Quelques-uns qui avoient essuyé toutes les vigueurs de la peste en étoient si efrayés, que sans vouloir se flatter qu’ils n’en étoient plus susceptibles ils se défieroient encore de tout le monde et gardoient les mêmes précautions qu’auparavant. Ceux-là n’avoient en garde de donner leur linge à des lavandières publiques ».
