Tandis que la peste se répandait à présent dans le terroir, dans la ville intra-muros, les malades sortaient des maisons pour qu’on les trouvât dans la rue et qu’on les transportât jusqu’aux hôpitaux saturés ; certains tombaient raides morts et l’on comptait désormais chaque nuit des centaines de corps amoncelés dans les espaces publics. Dans la haute ville populeuse où l’on mourrait en plus grand nombre, l’étroitesse des rues tortueuses inaccessibles aux charrettes présentait une difficulté supplémentaire pour l’évacuation des victimes. Les forçats furent chargés de les porter sur des brancards jusqu’aux caveaux des églises où ils devaient être ensevelis, puis arrosés de chaux vive que les échevins faisaient livrer devant la porte des édifices religieux, avec des barriques d’eau et du ciment. Cette disposition alarmait le clergé, qui n’avait évidemment pas les moyens de s’y opposer et, avait déjà perdu un nombre considérable de ses effectifs au service de la population. L’échevinat décida de faire cesser les services religieux dans les églises, lesquelles restaient toutefois encore ouvertes malgré le péril.
Le Père Giraud
« Le 24, l’épouvante n’avait pas encore été ni si générale ni si bien fondée. On n’avoit vu ni tant de corps dans les rües, ni entendu tant de cris lamentables mais la confusion n’était pas tout-à-fait si grande que veut bien le donner à entendre Mr Pichatty. S’il avoit dit que les chiens acharnés sur les cadavres les défiguroient et les traînoient sur le pavé, que l’on étoit obligé de les tuer à coups de pierre ou à coup de fuzil, que l’on entendoit plus dans la ville pendant le jour ni pendant la nuit que les aboïments horribles, on l’auroit crû sur parole mais qu’il nous dise que les églises étoient généralement fermées, qu’il n’y avoit plus de sonnerie de cloches, ni messe, ni administrations des sacremens, on sera en droit de s’inscrire en faux la-dessus puisqu’ici encore, on dit la ste messe publiquement dans mon église le 24 et le 25.»
Pichatty de Croissainte
« … Il est délibéré
« 1° Que par les raisons que l’on a observées et pour éviter les inconvéniens que l’on appréhende, qui seroient funestes, on ensevelira les cadavres tant dans les fosses ouvertes hors les murs que dans les caveaux des églises des religieux Jacobins, des Observantins, des grands Carmes, et de Lorette ; que ces églises qui sont situées dans la haute ville où il y a le plus de morts, et où les tombereaux ne peuvent pas facilement rouler, on fera des brancards avec lesquels les forçats les y porteront ; qu’il sera fait dans chacune un amas de chaux vive et de barriques d’eau pour jetter dans les cadavres, & que quand ils seront remplis on les fera fermer en y employant du cimant en telle sorte qu’aucune infection n’en puisse exhaler.
« 2° Qu’il sera mis un homme de confiance avec des garde-à-cheval à la tête des chariots & de chaque brigade de forçats, pour les obliger de travailler diligemment et de les empêcher de s’amuser à voler.
« 3° Que pour éviter que les fosses et les divers cimetières où l’on a ensevely de ces cadavres, n’exhalent pas de l’infection faute d’avoir été couverts de toute la quantité de terre et de chaux vive nécessaire, il en seroit fait une revüe exacte & générale pour y en faire remettre à suffisance.
« 4° Que manquant de commissaires dans plusieurs paroisses et quartiers, attendu qu’ils ont fui & abandonné, & ne se trouvant pas des personnes pour les remplacer, on obligera chaque couvent de donner des religieux pour servir de commissaires dans ces quartiers qui en sont dépourvüs.
« 5° Que pour empêcher la communication M. l’Evêque sera prié de faire cesser tous les offices dans les églises.
« 6° Que pour contenir et intimider la populace, on fera dresser des potences à toutes les places de la ville.»
