Tout le personnel municipal était mort, sauf l’archiviste et les premiers Magistrats de la ville, qui en appelaient toujours à l’Amirauté et à la Cour afin d’obtenir les moyens qui permissent de « sauver la ville », alors véritablement en péril parce que l’on craignait de n’être plus en mesure d’ensevelir les dépouilles des victimes de la peste faute de moyens suffisants. Or, celles-ci jonchaient toujours toutes les rues de la ville et constituaient autant de foyers de propagation de l’épidémie. Outre les 3000 gueux, 277 forçats avaient déjà péri en assumant la tâche de fossoyeur. Le 6 septembre, les échevins prenaient une nouvelle ordonnance pour organiser l’enlèvement des morts. Ils avaient a minima absolument besoin des renforts de la Marine royale à laquelle était rattaché l’Arsenal des galères.
Le 7 septembre, les échevins faisaient comme leurs prédécesseurs un vœu en faveur des filles orphelines de Notre-Dame-de-Bon-Secours afin d’apaiser la colère de Dieu et ainsi, de faire cesser le fléau. Le Dr Bertrand lui-même en appelait à Dieu et au repentir pour que cesse le fléau.
Le Père Giraud
« Ce jour [le 6], Messieurs les Echevins, protecteurs et defenseurs des privilèges, libertés et immunités de cette ville de Marseille, Conseillers du Roy, Lieutenans généraux de police, assemblés en l’Hôtel-de-Ville avec quelques officiers municipaux, le Conseil orateur de la ville, Procureur du Roy, de la police, et autres citoyens, ayant considérés que, quoique le secours de deux cent soixante dix-sept forçats que Mrs du Corps du galère ont eu la bonté de leur accorder en différentes fois pour ensevelir les cadavres depuis que la ville est affligée du mal contagieux les ait extrêmement aidés jusqu’à présent, il est pourtant insuffisant pour la quantité de plus de deux mille cadavres restent actuellement dans les rues depuis plusieurs jours et qui causent une infection générale : il a été délibéré pour le salut de la ville de demander un plus grand secours. A l’instant Mrs les échevins étant sortis en chaperon accompagnés de tous les dits officiers municipaux et notables citoyens, ont été en corps en l’Hôtel de Mr le Chevalier de Rancé, lieutenant général commandant les galères de sa Majesté, et luy a représenté que la ville luy a déjà des obligations infinies des services signalés qu’il a eu la bonté de leur rendre dans cette calamité ; mais qu’il ne leur est pas possible de la sauver s’il ne leur fait pas encore la grâce de leur accorder cent forçats avec quatre oficiers de siflets, qu’ils s’en serviroient si utilement que pour les faire travailler avec plus d’exactitude à la levée de tous ces cadavres, ils s’exposeront eux-mêmes comme ils l’ont déjà fait, à se mettre à cheval en chaperon à la tête des tomberaux et aller avec eux par toute la ville ; que de plus, comme il importe que leur authorité soit soutenue de la force, dans un temps où tous les forçats qu’on a accordé précédemment étant morts ou malades, il ne leur reste dans la ville qu’une nombreuse populace qu’il faut qu’il fait contenir pour empêcher tout tumulte et maintenir par dessus tout le bon ordre ; ils le prient encore très incessamment de vouloir leur donner au moins quarante bon soldats des galères sous leurs ordres pour les suivre et empêcher en même temps l’évasion des forces ; qu’ils ne seront commandés par eux, qu’ils les diviseront en quatre escouädes dont ils conduiront une chacun, et comme il faut au moins l’un d’eux reste toujours dans l’Hôtel-de-Ville pour les expéditions des affaires, une des dittes escouädes sera conduitte et commandée par Mr le Chevalier de Rose ; et qu’en cas d’empêchement de leur part, ils proposeront à leur place des commissaires nommés des plus distinguées qu’ils pourront trouver, pour les conduire et commander. Sur quoy, Mr le Chevalier de Rancé assemblé avec Mr l’Intendant et Mrs les Officiers généraux, tous sensibles à l’état triste et déplorable de cette grande et importante ville et étant bien aises d’accorder tout ce qui est nécessaire pour la sauver, ont eu la bonté d’accorder à Mrs les Échevins et à la Communauté encore cent forçats et quarante soldats y compris quatre caporaux avec quatre officiers de sifflets : et étant nécessaire de prendre ceux qui seront de bonne volonté et de les attacher par la récompense à un service périlleux, il a été délibéré et arrêté qu’outre la nourriture que la Communauté fournira tant aux uns qu’aux autres, il sera donné par jour à chaque officier de sifflet dix livres, à chaque soldat cinquante sols et après qu’il a plû à Dieu de délivrer la ville de ce mal, cent livres de gratification à une fois payée à chacun de ceux qui se trouveront en vie, et aux caporaux cent sols par jour à chacun et, en outre, une pention annuelle et viagère de cent livres à ceux qui seront en vie, ayant cru ne pouvoir asses les gratifier pour un service si important et aussi périlleux. Ce que l’assemblée a accordé attendu le besoin pressant et la nécessité du temps. Délibéré à Marseille le 6 7bre 1720. Signé Estelle, Audimar, Moustiers, Dieudé, échevins ; Pichatty de Croissainte, orateur, Procureur du Roy et Capus, archivaire ».
Le Dr Bertrand
« A la vue de tant de malheurs, ne devons-nous pas nous écrier, comme autrefois le Prophète Jérémie : est-ce donc là cette Fille qui étoit la joie & les délices de la Province ? Cette Ville si florissante par son commerce, par son opulence, par le nombre de les habitans, cette Fille autrefois si peuplée, comment est-elle maintenant abandonnée & déserte ? Ses rues pleurent leur solitude, tout son peuple gémit, & cherche des secours qu'il ne trouve point, en donnant même ce qu'il a de plus précieux ! Cette superbe Ville a perdu tout son éclat & toute sa beauté ! Ses principaux Citoyens ont été dispersés, ils se sont enfuis sans courage & sans force devant l’ennemi qui les poursuivoit ! Peut-on retenir ses larmes, & ne pas sentir les entrailles émues, quand on voit sa désolation, & périr au milieu des rues les enfans qui étoient à la mammelle ? N'en cherchons pas la cause dans l'infection de l'air, ni dans les fruits de la terre, mais dans la corruption de ceux qui l'habitent, parce qu’ils ont violé les loix saintes, dit un autre Prophète (r) qu'ils ont changé les ordonnances, & rompu l'alliance éternelle : cette Fille de faste est détruite ; elle n’est plus qu’un désert : toutes ses maisons font fermées, & personne n'y entre plus : les cris retentissent dans les rues, & toute la joie en est bannie ; tous les divertissemens sont en oubli : voici le temps que le Seigneur désertera votre Fille, il la dépouillera : il lui fera changer de face, il en dispersera tous les habitans ; que le Prêtre sera comme le Peuple, le Seigneur comme l’esclave, & la Maîtresse comme la Servante, Que serons-nous en ce jour d'affliction ? A qui aurons-nous recours, pour n'être pas accablés sous le poids de nos maux, & pour ne pas tomber sous un monceau de corps morts ? Il faut que ce petit reste se convertisse à Dieu, qu'il rende gloire au Seigneur, & qu'il célèbre le Nom du Dieu d'Israël dans les Isles de la Mer ».
