Les hommes de ce temps s’en rapportaient à l’observation de ceux qui avaient vu des pestes dans le Levant. Les pestes, disait-on, s’étendaient entre deux équinoxes, notion astronomique. La peste de Marseille ayant débuté à la Saint-Jean devait donc s’achever à la Noël puisque les pestes du Levant commençaient au solstice d’hiver pour s’éteindre au solstice d’été. Toutefois, force était de reconnaître que, si la situation s’était très grandement améliorée à Marseille intra-muros, la peste sévissait toujours dans le terroir. Aussi les marseillais n’osèrent-ils pas entrer chez les uns et les autres pour formuler les vœux traditionnels de bonne année.
D’autres plaçaient leurs espoirs dans un changement de température qui aurait opéré favorablement. Mais, observait toujours le Père Giraud à la mi-mars 1721, ni la chaleur estivale, ni l’humidité automnale, ni la froidure hivernale n’avaient réussi à éteindre ni à expliquer l’évolution de l’épidémie de peste. Le médecin lui-même s’en remettait à Dieu et au repentir de ses semblables.
La question de la saisonnalité des épidémies est aujourd’hui encore régulière-ment posée en infectiologie et en épidémiologie. Il semble que l’on puisse observer une saisonnalité de la peste (entre septembre et avril selon l’OMS) dans les régions du monde où elle reste endémique (Madagascar, République démocratique du Congo et Pérou) mais celle-ci n’est pas liée au climat, estimait en 1989 le chercheur en microbio-logie à l'Institut Pasteur de Paris, Henri Hubert Mollaret (1923-2008) : « Les facteurs climatiques ou saisonniers, si souvent invoqués pour expliquer la périodicité (très discu-table d'ailleurs) des épidémies, doivent être interprétés par rapport aux rongeurs sauva-ges réservoirs et à la dynamique de leurs populations ».
Le Dr Bertrand :
« Comme l'on sait par tradition que dans le Levant la peste finit ordinairement au solstice d'Eté, c'est-à-dire, vers la saint Jean, on s'attendoit que celle cy, qui avoit commencé en ce tems-là, finiroit aussi au solstice d'hiver, c'est-à-dire, vers la Noël d'autant mieux que l'on voit souvent les constitutions des maladies épidémiques, ou populaires, suivre les révolutions des saisons, dont le cours est ordinairement d'un équinoxe, ou d'un solstice à l'autre. La nôtre a suivi à peu prés le même cours.
Nous pouvons assurer qu'il n'a paru que très peu de malades dans le reste de ce période, qui a duré jusqu'à la fin de Janvier. Cependant l'on ne peut pas dire qu'il ait fini tout-à-fait au solstice d'hiver, puisqu'après ce tems-là, il tomba encore quelques nouveaux malades & qu'il y en avoit encore beaucoup à la campagne. (...)
« Enfin la nouvelle année 1721 commença, & l'on n'y voit point cesser la consternation publique, les amis & les parens ne se renouvellèrent point par des visites réciproques, les marques d'amitié & de tendresse, qu'ils avoient coutume de se donner le premier jour de l'an, & toute cette cérémonie d'amitié & de civilité se réduisit à se souhaiter dans les rues, à mesure que l'on se rencontroit, une année plus heureuse que la précédente. Il sembloit même que l'on pouvoit se le promettre ; car il n'y avoit presque plus de malades dans la Ville : ce qui paroissoit encore mieux par l'état des Hôpitaux, où le nombre des malades diminuoit considérablement d'un mois à l'autre. En effet dans celuy de la Charité, l'on ne reçût dans tout le mois de janvier que 113 malades, il n'en mourut que 53 & il en sortit 115 Convalescens. Dans l'Hôpital du Mail, on reçût dans le cours de Janvier 41 malades de la Ville , & 165. du Terroir, en tout 206. Il n'y en mourut en ce même mois des premiers, que 17 & 7 3 des seconds, ce qui fait en tout 90. C'est dès ce tems-là que l'on commençoit à faire transporter dans l'Hôpital du Mail tous les malades de la campagne, où le mal faisoit encore beaucoup de ravage ce qui donnoit beaucoup d'embarras, & aux Commissaires du terroir & à ceux qui commandoient dans la Ville, où le mal diminuoit toujours à vûë d'oeil ; car l'on ne voyoit plus tomber alors les malades que de loin à loin, encore n'étoient-ce que de petites gens, que la pauvreté ou l'avarice portoit à se servir des hardes infectées, ou qui, par imprudence, entroient dans les maisons suspectes ».
Le Père Giraud
31 mars « On avoit beau se flatter au commencement de la contagion que les grande chaleurs l’étoufferoient, tous les raisonnemens qu’on avoit fait ensuite sur la différence des climats du Levant et de cette province n’avoient abouti à rien. Il avoit plu, il avoit gelé, on avoit vu tomber de la neige, les saisons s’étoient succédées les unes aux autres, on comptoit déjà la 10e lune sans que l’on vit encore cette maladie éteinte. Tout, ainsi que le solstice d’hivert, n’avoit pu dissoudre et dissiper son venin, celuy[-ci] ne le ranima plus et ne ramena pas la rechute que l’on avoit tant apréhendé puisqu’il n’y eut dans tout ce mois tant de la ville que de la campagne que […]. On fut obligé d’avouer qu’il n’y avoit point de règle fixe ni pour le commencement, ni pour le progrès, ni pour la fin de la peste, qui avoit commencé dans les autres villes de Provence ainsi qu’à Marseille au moment que quelqu’un l’a portée, qui ne fit de progrès qu’autant que l’on négligea d’en arrêter le cours, et qui ne finira que lorsque les hommes agiront de concert avec Dieu le souverain seigneur bon et miséricordieux, qu’ils cesseront de l’offenser et ne s’aveugleront point eux-mêmes.
