La Fête-Dieu, aussi appelée « Solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ », est une fête religieuse célébrée le deuxième dimanche après la fête chrétienne de Pentecôte (célébrant la diffusion de l’Esprit-Saint cinquante jours après Pâques) ; elle célèbre la présence réelle de Jésus Christ dans le sacrement de l’Eucharistie, c'est-à-dire sous les apparences sensibles du pain et du vin consacrés au cours de la messe, d’où son caractère quasi exclusivement catholique. L’Église a établi un rituel pour la célébration de cette fête importante : les prêtres devaient porter l’Eucharistie sous un dais somptueux porté par quatre notables dans les rues et places pavoisées. Tous marquaient une station à un reposoir, sorte d’autel couvert de fleurs.
En raison du report continuel de la fête de Pâques (Publication #53), cette fête du Saint-Sacrement fut en cette année 1721 la première à avoir été célébrée avec éclat et à avoir donné lieu à un rassemblement d’une très grande ampleur puisque le Père Giraud avance la présence de 50 000 fidèles. Longuement annoncée la veille au son des cloches, l’organisation de la procession avait donné lieu à quelques discrets accrochages entre l’Évêque Belsunce et le Commandant Langeron. Ce dernier redoutait toujours une rechute de la maladie malgré un très net recul de l’épidémie mais ne voulait pas « scandaliser le public » par une nouvelle interdiction. L’acceptabilité sociale d’une telle mesure était en effet loin d’être acquise. Cependant, des précautions avaient été prises puisque la ville était interdite aux habitants du terroir et fermée ; ses portes étaient gardées par des soldats.
L’œuvre du peintre d’histoire, Robert Bichue (Coutances, 1704-1789) publiée ci-dessus rappelle cet évènement mentionné dans le cartouche : « Tous ceux qui prieront et adoreront le Sacré-Cœur divin obtiendront tout ce qu’ils demanderont. Sitôt que l’on eut invoqué ce Sacré-Cœur pour arrêter la peste de Marseille et d’ailleurs, elle s’arrêta... »
Mgr de Belsunce consacra la ville au Sacré-Cœur de Jésus. Les échevins, qui n’avaient pas voulu s’associer à cette procession, firent le 28 mai 1722, après la rechute de peste, le vœu solennel d’y participer : « ... nous avons résolu, d’un consentement unanime, de faire à Dieu, entre les mains dudit seigneur évêque, un vœu stable et irrévocable, par lequel nous nous obligerons, nous et nos successeurs, à perpétuité : d’aller chaque année, le jour de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, assister à la messe dans l’église du premier monastère de la Visitation ; d’y recevoir le Saint Sacrement de l’Eucharistie ; et d’y offrir un cierge de quatre livres, pour l’expiation des péchés commis dans la ville, lequel cierge brûlera ce jour-là devant le Saint Sacrement... ». Ce vœu est toujours exhaussé. Toutefois, la rechute de peste empêcha toutefois l’évêque d’organi-ser une procession en 1722 : « La fête du Sacré-Cœur-de-Jésus ne pouvant cette année être célébrée avec la solemnité requise, pour y suppléer M. l’évêque étant entré à 7 heures du soir dans l’église des Accoules et en ayant fait fermer les portes, porta le saint sacrement sur la terrasse qui est au-dessus du chœur de cette église, le reposa sur un autel qu’on y avoit dressé, fit l’amende honnorable, renouvella sa consécration au Sacré-Cœur-de-Jésus qu’il avoit fait le matin dans l’église des religieuses de la Visitation en présence des magistrats et donna la bénédiction sur toute la ville au bruit des cloches de toute la ville et du terroir, du canon des galères et des forts qui avertissoient tous les habitans de se mettre en prière pendant que leur évêque conjuroit le seigneur d’appaiser sa colère et de passer de la rigueur à la pitié », écrivait le Père Giraud le 12 juin 1722.
Le Père Giraud :
« Le 11, M. l’évêque envoya une lettre circulaire pour avertir que l’on fairoit la procession générale du saint sacrement, que les paroisses fairoient ensuite la leur en particulier, mais que les religieux qui étoient en coutume d’en faire s’en dispenseront cette année » .
« Le 12, les portes de la ville furent fermées aux personnes de la campagne et aux communautés religieuses situées hors les murs. On détacha 100 hommes du camp pour garder les portes de la cathédrale et escorter la procession, Mr le commandant et Mrs les échevins ne jugèrent pas à propos d’y assister. Les paroisses et les communautés délabrées y parurent en fort petit nombre. Celles de la Mercy et de Lorette, composées chacune de deux religieuses, se montrèrent pour la 1ère fois. Mr l’évêque y assista, étant au moins 3000 personnes du peuple à sa suite » .
« Le 16, M. l’évêque fit imprimer un mandement où après avoir averti qu’il ne jugeoit pas encore à propos d’ordonner l’ouverture des églises, il ordonna une sonnerie générale de toutes les cloches et une procession solemnelle pour le 20, fête du Sacré-Cœur-de-Jésus, dans la quelle il porta le saint sacrement, fit une amande honnorable pour ses péchés et ceux du peuple et luy consacra de nouveau son coeur et ceux de tous ses diocésains » .
« Le 19, toutes les cloches de la ville que l’on sonna à la fois pendant une heure annoncèrent solemnellement la fête du Sacré-Cœur-de-Jésus » .
« Le 18, il y avoit de tems en tems quelque petite mésintelligence, non seulement entre M. l’évêque et Mr le commandant, mais encore entre ce dernier et les échevins. Ces débats n’allèrent pourtant jamais ni au détriment de la ville, parce que Mr le commandant, uniquement occupé de sa conservation, se servoit souvent de son autorité presque souveraine pour faire exécuter ce qu’il connut pouvoir y contribuer efficacement, ni à scandaliser le public, parce qu’il scut adroitement prévenir les plaintes et les murmures éclatants. Les magistrats d’Arles et de Salon ne furent pas si habiles politiques, ils en vinrent à des querelles ouvertes, devinrent par-là la gazette de tous leurs voisins et s’exposèrent à périr eux-mêmes avec leur patrie » .
« Le 20, la fête du Sacré-Cœur-de-Jésus fut terminée par une procession des plus solemnelles qu’on eut jamais vue dans Marseille, le clergé sortit de la Major sur les quatre heures. Quand M. l’évêque parut sur le port, tenant le saint sacrement sous le dais, la citadelle et les forts tirèrent tout leur canon, les échevins en chaperon virent passer debout le clergé, à côté de l’autel dressé au fond de la porte de la Loge, le prélat y ayant donné la bénédiction s’arrêta encore au reposoir des Augustins, toutes les galères commencèrent alors de tirer leurs coursiers et l’état-major vut passer la procession, se tenant en-dehors de la barrière. Il y eut un salue de 100 boëtes à la Cannebière. Le porte-croix entra dans le milieu du Cours, dont on avoit ôté les chaînes, le clergé allat se mettre à plusieurs rangs à côté de l’autel dressé au fond sous un grand baldaquin, M. l’évêque passa à travers, fit son amande honnorable, après que la musique eut chanté le tantum ergo, [« Alors seulement »] donna la bénédiction. Il ne fut pas moins difficile aux bedeaux et aux maîtres de cérémonie de faire continuer la procession jusqu’à la cathédrale qu’il avoit été aux troupes d’écarter la foule tout le long du Cours.
Cette cérémonie fut si réjouissante que tous les habitans de Marseille se montrèrent ce jour-là, soit dans les rues, soit aux fenêtres. Quoi que les portes fussent fermées aux gens de la campagne, on vit au moins dans le cours de cette procession cinquante mille personnes. On auroit eu de la peine à croire qu’il fut mort tant de monde à Marseille, si on avoit pu oublier si tôt les pertes que chaque famille avoit faittes ».
