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  • Organisation Sanitaire Et Brasiers Parfumés Prophylactiques

Organisation sanitaire et brasiers parfumés prophylactiques

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En cette fin juillet, dominaient toujours à Marseille intra-muros, simultanément, le doute et la terreur : doute persistant quant à la nature de la « contagion » et terreur quant à la certitude de ses effets : « à mesure que toutes les affaires cessoient, que le commerce s’interdisoit d’un jour à l’autre, on ne s’entretenoit plus que de la maladie. Toutes les conversations ne rouloient que là-dessus. C’étoit la gazette du temps », témoigne le Père Giraud.

L’échevinat continua donc progressivement à organiser les secours. Il avait nommé des commissaires de quartier, chargés des rapports journaliers relatifs au nombre de malades et de morts rue par rue et maison par maison et il pourvut à l’organisation sanitaire : chronologiquement, il fit d’abord rejeter les fumiers hors la ville et laver les rues à grande eau, puis il choisit quatre équipes médicales sectorisées par quartiers, décida de payer les frais médicaux engendrés par les soins et réquisitionna le couvent des Observantins pour y loger les soignants. Les corbeaux, sacristains et pénitents furent enfermés aux Infirmeries et l’on commença alors à allumer des brasiers parfumés dans toute la ville pour conjurer le mal. Et, surtout, il fut décidé d’établir un hôpital dédié à la maladie.

La médecine restait très livresque (quoique les médecins montpelliérains et marseillais eussent procédé à des dissections) et reposait toujours sur la fameuse théorie de l’équilibre des humeurs du médecin grec Gallien (IIe siècle apr. J.-C.) elle-même héritée de son confrère Hippocrate (Ve siècle av. J.-C.) Ceux-ci attribuaient aux mauvaises odeurs le pouvoir de provoquer de nombreuses maladies mortelles, dont la peste : le mauvais air concentrait dangereusement ce qu’on appellerait les « miasmes » après les découvertes en chimie pneumatique d’Antoine Lavoisier (1743-1794). Hippo-crate recommandait de brûler des parfums sur des bûchers pour assainir l’air infecté qui, sans cette précaution, pénétrait l’organisme et corrompait les organes. Le Dr Sicard, le seul médecin qui eut l’oreille des échevins, tant ceux-ci se défiaient des praticiens marseillais, en était partisan. Le Dr Bertrand, qui savait comme la plupart de ses confrè-res que les saignées et les purgatifs étaient inutiles et dangereux pour soigner la peste, exprimait aussi quant à lui le plus grand scepticisme à l’égard de la mesure préconisée par Sicard et qu’il qualifie de « faible » secours. Le Père Giraud regrettait lui aussi le peu de confiance manifestée par l’échevinat à l’égard du Collège de médecins qu’il avait lui-même nommé.

Le Père Giraud

« On afficha ce jour là un avis pour le public en date du 6e [août] dans lequel on désignoit spécialement Mr Bertrand, médecin, pour visiter tous les malades de l’agrandissement de la ville. Le Sr Aulanic, Me chirurgien, devoit servir sous lui et le Sr Mouriès, apoticaire, étoit chargé de fournir les remèdes. Mrs Robert, Bozon et Boisson étoient nommés pour les quartiers de Cavaillon, de St-Laurent jusques au Coin Reboul et des tanneries. Mrs Raymond, Deluy et Brémond étoient chargés des malades depuis le Coin de Reboul en montant vers l’évêché, de la droite des isles de St-Antoine, des rues de Négreaux et de la Bonneterie. Mrs Audon, Coste et Margaillan devoient servir dans le quartier de Blanquerie depuis la Bonneterie toujours à droite la rue de Négreaux, de l’Oratoire à St-Martin, de St-Martin en montant à la Mercy, comprenant la rue de Ste-Barbe à droite et à gauche jusques à la Porte d’Aix et de là,au Cours, à la Canebière jusques à la place Neuve. Le Sr Sellier, apoticaire, étoit chargé de fournir les remèdes pour tous les malades du faubourg. Dans cette affiche, on ne statuait rien pour la Ribe Neuve. Apparamment le Chevalier Rose s’étoit chargé d’y pourvoir d’autant mieux qu’il n’y avoit encore aucun malade. Ce règlement étoit bon mais le manque de confiance que l’on avoit aux médecins et aux chirurgiens le rendit presque inutile. Ces Mrs ne voyoient les malades que superficielement et de loin. Presque tous les malades succomboient à la violence du mal sans leur donner le temps d’opérer. De là vint une erreur populaire. On s’était imaginé que la peste étoit une maladie sans remède, que c’étoit un fléau de Dieu entièrement inconnu aux médecins. Ce préjugé se fortifia à mesure que le nombre de malades et de morts augmenta. Autant de malades, autant de morts… la multitude des derniers ajoute à la crainte, à l’abatement. Chacun se croit à l’agonie. On ne pense plus qu’à se disposer à la mort ».

Le Dr Bertrand

« Le seul Médecin de la Ville, qui fut écouté des Magistrats, ce fut M. Sicard, qui, ayant refusé de visiter les malades, & voulant se rendre utile par quelque endroit, fut leur proposer un moyen de faire cesser la peste, leur répondoit du succès, pourvu qu'on exécutât ce qu'il diroit. La proposition étoit trop séduisante, pour n'être pas bien reçue. Les autres Médecins avoient été rejettes comme ces Prophètes qui n'annonçoíent que des choses tristes ; celui-ci fut bien reçu, parce qu'il promet des choses agréables. Ce Médecin proposa donc d'allumer un soir de grands feux dans toutes les places publiques, & autour de la Ville : qu'en même temps chaque particulier en fît un devant la porte de fa maison ; & qu'à commencer du même jour, & pendant trois jours consécutifs, chacun fit à la même heure, à cinq heures du soir, un parfum avec du soufre dans chaque appartement de sa maison, où il déployeroit toutes ses hardes & tous les habits qu'il avoit portés depuis que la contagion avoit paru.

« Quoique ce moyen de faire cesser la contagion ne soit ni nouveau ni fort singu-lier, & que l'histoire d'Hypocrate ne soit ignorée de personne, la confiance avec laquelle ce Médecin le proposa, & l'espoir de voir bientôt finit un mal dont on commençoit à redouter les suites, le firent recevoir. On se met en état d'exécuter la chose : Ordonnan-ce de Police, qui assigne le jour, & ordonne le feu & les parfums, en conformité du projet du sieur Sicard ; il est lui-même commis à la disposition des feux, sous les ordres de M. Dieudé, un des Échevins, qui s'est toujours prêté volontiers aux emplois les plus pénibles. On fait de grands amas de bois dans routes les places & dans tous les lieux désignés ; on distribue dans route la Ville du soufre pour les parfums, à tous ceux qui n'ont pas le moyen n'en acheter ; enfin, le jour arrivé, à l'heure marquée, toute la Ville parut en feu, & l'air se couvrit d'une noire & épaisse fumée, plus propre à retenir les vapeurs contagieuses qu'à les dissiper.

« On ne sait ce que l'on doit le plus admirer ici ; ou la confiance de ce Médecin, qui, sans distinguer les périodes ni la nature de la contagion, propose avant le temps, un secours aussi foible & si peu capable de produire l'effet qu'il en promettoit ; ou la crédulité des Magistrats ; qui dénués d'un Conseil solide, se laissent aller à tout vent de doctrine, & consentent une dépense aussi inutile que fatigante, sans daigner consulter la-dessus les autres Médecins, auxquels ils avoient déjà confié le soin des malades. Le public vit avec regret consumer inutilement une si grande quantité de bois, dont ils craignoient de manquer dans la suite : & ce Médecin trompé dans son attente, ne pouvant plus soutenir les reproches du peuple sur l'inutilité de son remède, disparut avec son fils ».

Date début