L’hémorragie avait commencé dès le début de la dernière décade de juillet lorsque l’épidémie avait décimé les habitants de la rue de l’Escale et des rues avoisinan-tes. Les autorités ne savaient précisément où retrouver ces fugitifs qui avaient porté la peste au-delà des remparts : les riches courraient se réfugier dans leurs bastides comme d’ailleurs nombre d’ouvriers et d’artisans. Il ne leur était plus possible de sortir des limites du terroir car un arrêt du Parlement de Provence du 31 juillet avait interdit aux citadins de les franchir.
Cette fuite augmentait toujours davantage la frayeur des plus pauvres qui, à cause de la rareté des espèces d’argent, étaient obligés de s’exposer au danger en demeurant en ville (Publication # 15). Le 9 août, les Srs Augier et Montagnier, médecins, et la plupart des chirurgiens maîtres jurés prirent aussi la fuite. Le Père Giraud et le Dr Bertrand se montrent critique à l’égard des échevins coupables à leurs yeux de n’avoir su s’entourer en temps utile de ceux qui auraient pu les aider à prendre les mesures nécessaires et qui avaient fini par enfuir. Nombre de médecins étaient épouvantés devant l’immobilisme des pouvoirs publics et l’imprudence du peuple qui continuait à s’assembler comme à l’ordinaire. Le Dr Bertrand observe que non seulement les brasiers prophylactiques allumés sur la malheureuse prescription du Dr Sicard, n’avaient pas réussi à contenir l’épidémie mais qu’ils semblaient même l’avoir faite exploser. Déçus, les Srs Sicard père et fils avaient pris la mer pour aller observer une quarantaine à Toulon. Les échevins obtinrent par la suite du roi de les faire emprisonner trois mois dans la forteresse royale de l’île de Sainte-Marguerite, au large de Cannes. Pour obliger les autres à revenir, les échevins ordonnèrent que les médecins seraient définitivement exclus du Collège de médecine et les chirurgiens de leur jurande et maîtrise s’ils ne se présentaient sous huitaine.
Mi-août le mouvement de migration s’accentua encore et les plus pauvres se trouvaient dans des conditions d’existence très précaires.
Le Dr Bertrand :
« En effet, ces feux ne firent, ce semble, que rallumer celui de la contagion ; ils embrasèrent l'air déjà échauffé par la chaleur de la saison & du climat : le venin pestilenciel devint plus actif, & le mal se développa avec plus de vivacité. Déjà les plus entêtés se rendent, & pensent à chercher leur salut dans la fuite ou dans la retraire ; les plus timides, ou pour mieux dire, les plus prudens avoient déjà profité de la liberté des passages, pour se sauver en d'autres Villes & en d'autres Provinces. Ceux qui furent plus tardifs à croire, trouvant toutes les issues fermées, & les chemins exactement gardés, furent contraints de se retirer dans leurs Bastides, ou de s'enfermer dans leurs propres maisons.
« On ne vit plus alors que gens qui achettoient des provisions de tout côté qui chargeoient des hardes, & des meubles de toute part : les voitures n'y peuvent pas suffire, elles sont hors de prix ; le peuple même prend la déroute , & sort en foule hors des portes de la Ville, & comptant sur la douceur de la saison, va camper sous des tentes, les uns dans la Plaine de St. Michel, qui est une grande esplanade du côté des Minimes, les autres le long de la rivière & des ruisseaux qui arrosent le terroir, & les autres le long des remparts : quelques uns grimpent sur les collines & sur les rochers les plus escarpés, & vont chercher un asyle dans les antres & dans les cavernes : les gens de mer s'embarquent avec leurs familles sur des vaisseaux, sur des barques & dans de petits bateaux dans lesquels ils se tuent au large dans le Port & sans la Mer, & forment ainsi une nouvelle ville flottante au milieu des eaux ».
Pichatty :
« Si c’étoient là les bouches inutilles, rien ne seroit plus convenable & plus soulageant, mais les personnes les plus nécessaires, & celles même que leur fonction oblige le plus indispensablement de rester, sont les plus promptes à déserter ; presque tous les Intendants de la Santé, ceux du Bureau de l’Abondance, les Conseillers de Ville, les Commissaires de police, les recteurs de tous les hôpitaux & de toutes les maisons & Œuvres charitables, les Commissaires même qu’on vient, il y a quelques jours d’établir dans les paroisses et quartiers pour vaquer au soulagement des pauvres, les artisans de tous métiers, & ceux qui sont les plus nécessaires à la vie, les boulangers, les vendeurs de vivres et denrées, jusques même ceux qui doivent garder les autres et les empêcher de quitter, c’est-à-dire, les les Capitaines et officiers de ville qui ont leur Compagnie en pied, tout déserte, tout abandonne, tout fuit : bref M. le Marquis de Pilles et Mrs les Échevins restent presque tout seuls, chargés d’une populace infinie, prête à tout entreprendre dans les extrémités où elle se trouve réduite par la misère, & par la calamité multiplie le mal ».
Le Père Giraud
Dès la fin juillet, « ils [les échevins] n’avaient donc pas bonne grâce de se plaindre dans la suite que tout le monde les abbandonnoit, de se récrier que leurs conseillers de ville, les commissaires, les administrateurs des hôpitaux, les intendants de la santé, ceux du Bureau de l’Abondance, les artisans même de tous les métiers, ceux qui étoient le plus nécessaire à la vie comme les plus indifférents jusqu’aux officiers et capitaines de la ville eussent déserté et abbandonné leurs compagnies, l’honneur pour l’amour de la patrie. Par la crainte, par l’autorité qu’ils avoient en main, pour cela encore un coup, il falloit assembler la ville, parler d’un ton intelligible quand il en étoit temps. Cet oubli fut la cause de l’embarras, de la confusion et du désordre dans lequel ils se trouvèrent quelques temps après ».
