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  • « Il Est Mort Plus de Mille Personnes Pendant La Nuit » Et L’on Brûle Le Mobilier Des Maisons Sur Les Places Publiques

« Il est mort plus de mille personnes pendant la nuit » et l’on brûle le mobilier des maisons sur les places publiques

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En cette fin août 1720, l’épidémie de peste atteignait un point culminant, fauchant jusqu’à mille habitants intra-muros en une seule nuit. L’horreur était aussi à son comble. Une odeur de mort, « méphitique », flottait dans l’air et achevait de terroriser ceux qui avaient encore réchappé au fléau. C’était une atmosphère de terreur. Il faut se reporter aux toiles peintes par Michel Serre pour « visualiser » ce que relatent nos trois chroniqueurs. Le récit du Dr Bertrand montre qu’une meilleure gestion des moyens eut évité une telle accumulation des corps des victimes dans les rues. Ces dernières étaient aussi encombrées par le mobilier et les effets des malades que les habitants jetaient par les fenêtres de crainte qu’ils ne leur communiquassent la peste. L’échevinat avait donné l’ordre de les brûler en place publique et l’on voyait des incendies partout. Le Dr Bertrand explique que l’on croyait « purger » les meubles et les hardes par le feu et que l’on en brûla au point que les survivants se trouveraient démunis de linge et de mobilier après l’épidémie.

Le Père Giraud

« Le 29, quelque effort que l’on ait fait le jour précédent pour enlever tous les corps morts dans les rues, il en étoit resté un grand nombre dans les maisons ; il est mort plus de mille personnes pendant la nuit ; à la pointe du jour toutes les rues en sont couvertes ; on est obligé d’en faire de nouveau porter dans les églises ; une trentaine de tomberaux en portent dans les cimetières le long des murs. Quelques longues que soient maintenant les journées, quelque grande que soit la vigilance de Mrs les échevins et de leurs officiers subalternes à avancer les travaux, ils se trouvent toujours surchargés davantage de cadavres parce que le venin pestilentiel est dans toute sa vigueur, qu’il est répandu partout, que toutes les rues à tous les moments du jour et de la nuit,un nombre infini de personnes succombent à sa violence.

« Les vapeurs malignes qui sortoient des maisons où il y a des cadavres pourris, celles qui s’élèvent de toutes les rues pleines de matelas, de couvertures, de linges, de haillons et toutes sortes d’ordures qui croupissoint depuis quelques temps, l’odeur puante et cadavéreuse des morts et des malades qui remplissent le pavé donnent lieu d’apréhender que l’air même ne devenoit contagieux : pour prévenir ce dernier malheur on publie quelques ordonnances. Dès le commencement de la Contagion, plusieurs balayeurs de rues [par] crainte d’être arrêtés pour servir de corbeau, avoient fui. On les oblige de revenir dans la ville sous peine de la vie. On deffend de jetter des fenêtres des meubles des maisons, on ordonne de les porter et de les traîner dans les places publiques pour les y brûler sur le champ ».

Le Dr Bertrand :

« Si la vue des malades excitoit tour-à-tour des sentimens d'horreur & de pitié, celle des cadavres jettoit le trouble & l'efroi dans tout les cœurs. Toutes les rues en étoient couvertes ; on ne savoit plus où faire des fosses ; on ne trouvoit plus de fossoyeurs, plus de corbeaux ; ceux qui étoient encore sur pied en faisoient un indigne commerce ; ils n'enlevoient que les morts dont les parent étoient en état de les payer. On doit juger par-là qu'ils en laissoient plusieurs ; aussi ils s'accumulèrent à un point, que l'on se vit presque hors d'état de les enlever. Nous dirons dans la fuite les mesures que l'on prit pour en venir à bout. Cependant représentons-nous le trouble d'une Ville où il mouroit plus de mille personnes par jour, à qui les rues servoient de tombeau ; aussi elles étoient, pour ainsi dire, jonchées de morts & de malades, en sorte que dans les plus grandes, à peine trouvoit-on à mettre le pied hors des cadavres ; & en certains endroits, il falloit les y mettre dessus, pour pouvoir passer. C'étoit bien autre chose dans les places publiques, & devant les portes des Eglises ; ils y étoient entassés les uns sur les autres ; & dans une esplanade dite la Tourrete, qui est entre le Fort St Jean & l'église cathédrale, quartier habité par de gens de mer, & par le menu peuple il y avoit toujours plus de mille cadavres ; le Cours même en étoit rempli ; tous les bancs, dont il est bordé de chaque côté, étoient autant de cercueils ; & le lieu le plus agréable où les jeunes gens alloient respirer un air de vanité, étoit devenu l'endroit le plus propre à leur en inspirer le mépris. La présence de tous ces morts étoit pour les malades languissans dans les places publiques un nouveau sujet de trouble & d’effroi. La Paroisse de St Ferrëol étoit Ie seul endroit de la Ville exempt de l’horreur & de l'infection des cadavres, & cela par les foins du curé & des commissaires de cette paroisse. Ils s'étoient réservés un certain nombre de corbeaux & de tomberaux , & les ménageaient si à propos, qu'ils durèrent pendant toute la contagion ; d'ailleurs la proximité des fosses favorisoit beaucoup le prompt transport des cadavres, qui étoient enlevés sur le champ, & n'y croupissoient jamais ». (…)

« … car toutes les autres rues étoient impraticables, non seulement par les malades & les morts qui les couvroient, mais encore par les hardes infectées & les autres immondices qu'on y jettoit par les fenêtres de toutes les maisons ; on y trouvoit de temps en temps des amas de hardes, de matelas, & de boue qui faisoient une barrière qu'on ne pouvoit pas franchir. Si l’infection de toutes ces saletés étoit plus dangereuse, celle qui causoit l’incendie qu’on faisoit tous les jours dans toutes les rues des lits & des hardes des pestiférés, étoit plus incommode. On étoit tellement alarmé qu'on croyoit ne pouvoir bien purger la contagion que par le feu ; on doit juger par-là du dégât qui se fit de nipes, de hardes & de meubles souvent précieux : dans la suite on revint un peu de cette erreur, sans quoi tout le monde alloit se trouver sans linge & sans hardes, & presque toutes les maisons dégarnies de meubles. Voilà quel étoit l'état de la Ville dans le fort du mal, & qui dura jusques vers la fin de Septembre ».

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