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  • Pertes Vinicoltes : un Désastre Économique

Pertes vinicoltes : un désastre économique

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Les domaines agricoles de Marseille, appelés campagnes, souffraient de l’absence de la main d’œuvre décimée par le fléau. En cette fin septembre, le temps des vendanges étant venu, les propriétaires terriens qui avaient survécu à l’épidémie firent cueillir le raisin par leurs domestiques lorsque leurs paysans étaient morts ou bien ils se résignèrent à s’en charger eux-mêmes. Les cuves se remplirent moins qu’à l’ordinaire et, une fois le raisin (mal) foulé et fermenté, nul ne voulait prendre le risque de le soutirer et de porter les tonneaux à la ville, en sorte que le vin tourna au vinaigre dans les cuves et que la précieuse récolte fut perdue. C’était très malencontreux pour l’économie de la ville.

Sur la terre aride et calcaire du vaste terroir marseillais, l’on cultivait intensément la vigne depuis l’antiquité. Au XIe siècle, les défrichements et les remembrements des moines de l’Abbaye de St-Victor avaient rendu une pleine prospérité à ce vignoble. En 1257, un article des Chapitres de paix avait interdit l’importation de tout vin étranger afin de réserver au vin du cru le monopole du marché urbain, privilège aboli en 1776 seulement. En revanche, on exportait toujours la production vinicole marseillaise et, au XVIe siècle, le vin, qui représentait 64 % de la valeur des échanges à l’exportation, équilibrait la balance des échanges et permettait à la ville d’acquérir du blé et de la viande. L’historiographe Antoine de Ruffi et l’iconographie témoignent de la persistance et de l’importance du vignoble à Marseille à l’époque moderne. En 1662, les riverains de la citadelle dénonçaient les ravages que la garenne de Beringhen, son inflexible gouverneur et grand amateur de chasse, causait aux vignobles cultivés entre le Pharo et Montredon. La raisin, dit encore le Père Giraud, était « la principale et presque l’unique » récolte « dans cette ville ». Le vignoble marseillais s’étendait partout, dès les remparts franchis, jusqu’aux contreforts des collines grâce à la construction de restanques. En 1720, la viticulture était donc une ressource d’une valeur économique non négligeable, et elle fixait 25 000 ruraux auxquels s’ajoutaient saisonnièrement les gavots durant les mois d’hiver.

Le Père Giraud

Le 26, « Quoique la peste fit des ravages afreux aux quartiers de Saint-Ginier, de Saint-Joseph, des Cailhols, de Saint-Julien, de Saint-Loup, de la Pomme, de Saint-Dominique, de Saint-Marcel, et que l’on sceut même que les autres quartiers et les villages voisins en étoient attaqués, crainte de perdre entièrement la récolte du vin qui est la principale et presque l’unique dans cette ville, les bourgeois qui avoient mis tout en usage pour conserver leurs païsans, les ménageoient soigneusement, du moins pour mettre leur vin dans leurs [caves]. On avoit vu mourir des femmes étrangères en coupant les raisins, les suittes de ces fâcheux accidents avoient été funestes. Pour ne pas s’exposer au danger, on aimoit encore mieux risquer de perdre une partie de ses fruits. On voioit des particuliers qui avoient perdu presque tous leurs païsans chargés d’une récolte de onze à 12 cent mayeiroles [milleroles] du vin, réduits à n’y pouvoir employer que quelques valets qu’ils avoient conservé jusqu’alors enfermés dans leurs maisons.

« Comme les païsans ne vouloient pas porter le vin à la ville et que d’ailleurs on ne l’avoit pas bien fait, la plus grande partie se gâta dans les cuves, quoiqu’on les eut couvertes et qu’on en eut bâti plusieurs.

« Ceux qui n’avoient ni païsans ni domestiques, ou qui avoient des malades, ne se mettoient pas en peine de faire au moins une partie de leur vendenge. Plusieurs vignes dont tous les propriétaires étoient morts restèrent avec leurs fruits jusques à la Noël, en attendant que les pluyes et le froid les consumassent ».

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