L’on entrait dans ce que le Dr Bertrand appelait « la troisième période de la peste », celle où l’on ouvrit enfin de nouveaux hôpitaux. Envisagée le 10 août seulement, la construction ex-nihilo de l’hôpital du Jeu de Mail ne fut achevée que le 4 octobre et celui-ci n’entra en service que le 10 octobre après que les forçats eurent fini de réparer la toiture de toile tendue sur des charpentes et emportée par le vent immédiatement après son achèvement.
Arrivé à Marseille un mois plus tôt, le commandant Langeron, ému par le sort des malades gisant par les rues, avait usé de toute son autorité et de tous les moyens dont il disposait pour hâter l’exécution de ce projet. Les forçats affectés à la Marine étaient encore venus au secours de la collectivité et le commandant avait fait chercher par des gardes armés dans le terroir et amener les fugitifs dont les compétences étaient indispensables à la vie de la communauté (Publications # 28 & 29). Le personnel médical était logé aux abords de l’hôpital dans le couvent des Pères Augustins, presque tous morts de peste. Des fosses avaient été préparées à proximité immédiate de l’hôpital. L’hôpital du Mail reçut essentiellement des malades du terroir (plus des 2/3 des effectifs) pendant la durée de son usage qui ne perdure pas au-delà de l’épidémie : Il s’agissait d’une installation provisoire aménagée sous tente.
Le réquisition de l’hôpital général de la Charité était effective depuis la veille ; Les pauvres avaient été transférés aux Convalescents où tous les malades étaient morts. La situation des malades allait s’améliorer progressivement. Six hôpitaux destinés à soigner la peste et deux maisons de convalescence, bien répartis sur le territoire urbain, étaient donc ouverts en octobre 1720.
Le Dr Bertrand
« On reconnut bientôt que l'Hôpital [des Convalescents] qu'on avoir choisi, étoit trop petit pour le grand nombre de personnes qui tomboient malades chaque jour : on forma donc le projet d'en faire un autre, mais qui par le long tems qu'il fallut pour le mettre en état, devint inutile pour remédier aux désordres présens. On choisit le jeu de mail, dont l’étendue & la situation fournissoient une place très propre pour y dresser un Hôpital, qui par la proximité du couvent des Augustins réformez, & d'un grand corps de maison, qui est à l'entrée du jeu de mail, avoit toutes les commoditez nécessaires : d'ailleurs sa situation hors de la Ville le rendoit encore plus propre pour ces sortes de malades. Ce projet étoit bien concerté, mais il auroit fallu pouvoir suspendre la rapidité du mal, jusqu'à ce qu'il fût exécuté ; car on ne pouvoit déjà plus compter les malades, ils étoient sans secours & sans retraite dès le 10 du mois d'Août, & on entreprend seulement alors un Hôpital, qui n'a été prêt qu'au commencement d'Octobre, comme on le verra par la suite, il n'a pourtant pas laissé d'être d'une grande utilité : nous le dirons en son lieu. Cependant pour donner une retraite aux malades on éleva des tentes hors de la Ville le long des remparts, auxquels on fit une brèche vis-à-vis pour pouvoir transporter les malades sous ces tentes ». (…)
« Le soin des malades parut encore à Mr le Commandant un objet bien digne de son attention & il comprit bien-tôt que c'étoit un grand inconvénient, pour ne pas dire, une espèce de barbarie, de laisser les malades sans retraite languir dans les ruës & dans les places publiques. L'Hôpital du Jeu de Mail qu'on avoit commencé dès le mois d'Août, n'étoit pas fort avancé, soit par la longueur du travail, soit par la négligence des ouvriers. Un coup de vent avoit même renversé ce qui étoit déjà fini : Mr de Langeron fit d'abord venir des charpentiers & des Turcs des Galères, qui réparèrent bien-tôt ce désordre, & avancèrent l'ouvrage en peu de tems. On prépara des logemens pour les médecins, les chirurgiens, les apoticaires, & pour les autres officiers de ce nouvel Hôpital, dans le couvent des Augustins Reformés, qui sont tout auprès, & dans les bastides voisines, & l'on désigna des fosses dans le terrein le plus proche. Mais le Commandant jugeant que cet Hôpital ne seroit pas encore asses grand pour contenir tous les malades, & qu'ils ne pourroient pas y être transportés aisément des quartiers les plus éloignés : la maison de la Charité, qu'on n'avoit pas voulu prendre dès le commencement de la Contagion, lui parut d'abord avoir toutes les commodités nécessaires pour remplir sur cela toutes ses vues. Il ordonna donc d'en faire un Hôpital pour les pestiférés. L'Hôtel-Dieu se trouvant vuide par la mort de tous les malades qui y étoient, & par celle de presque tous les enfans trouvés, fut aussi destiné pour y enfermer les pauvres de la Charité, & pendant qu'on travailloit à le désinfecter, ces pauvres furent mis par manière d'entrepos dans les Infirmeries. Enfin tout fut si sagement ordonné de la part du nouveau Commandant, & exécuté avec tant de diligence de la part des Echevins, que dans peu de jours l'on vit ces deux Hôpitaux prêts à recevoir les malades. Ceux qui restèrent dans leurs maisons manquant des nécessaires, de ceux même qui étoient les plus communs, tels que font les onguens & les emplâtres pour les playes : parce que les apoticaires avoient épuisé leurs drogues & leurs compositions par le grand débit, & que toutes les boutiques des droguistes étoient fermées, ils n'avoient plus de drogues pour en faire de nouvelles, Mr de Langeron envoya ses gardes dans le terroir, pour faire revenir les droguistes ; il en usa de même à l'égard des notaires, car tous les malades mouraient sans pouvoir faire leurs dernières dispositions : il fit aussi revenir les sages femmes, dont l'absence avoir fait périr tant de femmes grosses & une si grande quantité d'enfans. Tous ces gens-là se rendirent donc à leurs fonctions, & bien-tôt les malades eurent les secours dont ils avoient manqué jusquy alors ». (...)
« Comme nous n'avons donné jusques à présent l'état de l'Hôpital du jeu de Mail que par mois, nous avons crû devoir tous les réunir ici, en disant que depuis le 4 d'Octobre où il fût ouvert, jusques au dernier de Juin qui est la fin de nôtre Histoire, on reçut dans cet Hôpital des Pestiférés 1512 malades, dont il en est mort 820. Tout le reste ayant heureusement échapé à la violence du mal, par les soins des directeurs, & par l'aplication du médecin & des chirurgiens ».
