L’on peut aisément imaginer que la Toussaint, fête de tous les saints (mais non des morts), ait revêtue une importance particulière à Marseille en ce mois de novembre 1720. L’évêque de Marseille, Mgr de Belsunce, imitant saint Charles en pareil jour lorsque Milan était affligée par la peste, régla une cérémonie au cours de laquelle il fit humblement pénitence au nom du peuple et il célébra la messe publiquement sur le Cours en implorant la miséricorde divine. Les autorités critiquèrent cette initiative qui, en rassemblant ainsi les fidèles, les exposait de nouveau à la contagion. La peste ravageait désormais toute la Provence.
Pichatty de Croissante :
« Le premier novembre, Fête de tous les Saints, M. l’Évêque sort de son Palais en procession, accompagné des chanoines de l’église des Accoules, de ceux qu’il a nouvellement pourvûs à celle de St Martin, & du curé & des prêtres de la parroisse St Ferréol ; & voulant paroître comme le bouc émissaire, chargé des péchés de tout le peuple, & comme s’il étoit la victime destinée de leur expiation, il marche la corde au col, la croix entre les bras, & les pieds nuds ; & va ainsi jusques au bout du Cours du côté de la Porte d’Aix, où il célèbre la messe en public, à un autel qu’il a fait dresser ; & après une très belle exortation qu’il fait au public, pour le porter à la pénitence, afin de fléchir la colère de Dieu, & d’obtenir la délivrance de cette cruelle peste ; il fait un acte de consécration de la ville au Sacré Cœur de Jésus, à l’honneur de qui il a déjà étably, à cette intention, une fête chommable toutes les années, par son dernier mandement, dont il fait faire la lecture ; les larmes qu’on voit couler de ses yeux pendant cette sainte cérémonie, jointes à l’onction de ses paroles, excitent componction dans les cœurs qui sont les moins sensibles, & chacun pénétré d’une vive douleur, réclame la miséricorde du Seigneur. Saint-Charles fit autrefois la même chose dans Milan, à pareil jour de la Toussaint, lorsque cette ville eut le malheur d’être affligée de la Contagion, & il ne manque à l’imitateur du zèle, de la piété, de la charité & de toutes les vertus d’un si grand saint, que la pourpre romaine qu’il mérite, & que tout un peuple qu’il couvre de biens spirituels et temporels, luy souhaite du plus profond du cœur ».
Le Père Giraud
« Le premier jour de novembre, (…) les juges du siècle admirèrent le zèle héroïque du prélat, mais ils condamnèrent sa conduite, disant qu’il ne convenoit jamais d’assembler ainsi le peuple dans une conjoncture de tems si fâcheuse. Ils craignirent que cette tumultueuse assemblée ne causât quelque nouvel embrasement dans la ville, ils crurent même de ne s’être pas tout à fait trompés, puisque l’on découvrit peu à peu un assés grand nombre de nouveaux malades ».
