Les inhumations dans le périmètre des villes avaient été prohibées pendant l'Antiquité et les canons des conciles du premier millénaire de l'Église avaient renouvelé l'interdiction d'enterrer les fidèles dans les caveaux construits dans les églises. Cependant, à partir de la fin du Moyen Âge et jusqu'au XVIIe siècle, les couches aisées et même médianes de la population avaient pris l'habitude d'y ensevelir leurs morts. Aussi, jusqu’à ce que l’Édit royal du 15 mai 1776 interdise l’ensevelissement des morts dans les églises et prononce l’expulsion des cimetières hors les murs d’enceinte urbaine pour des raisons d’hygiène, nombre d’églises reçurent-elles quantités de sépultures.
De véritables lotissements de caveaux avaient été réalisés dans les églises, de façon ordonnée comme le montre le plan de la basilique Saint-Martin publié ci-dessus. Dans l’église des Trinitaires, par exemple, ces caveaux étaient des puits-caveaux qui permettaient d’ensevelir quatre ou cinq personnes dans une même tombe. Ainsi ces églises étaient-elles de véritables cimetières rassemblant des centaines de dépouilles. Les maçons commis à la réalisation de ces sépultures devaient s’appliquer à réaliser de bons enduits car il fallait lutter contre les odeurs de putréfactions - les odeurs méphitiques si redoutées - qui s’en exhalaient et que dénonçait en premier lieu le clergé : ces odeurs putrides étaient d’autant plus contraires à la dignité du culte qu’elles attiraient les mouches. En outre, avec les progrès de la chimie, on en était venu à considérer au XVIIIe siècle que l’air malodorant et donc vicié avait la capacité de contaminer les fluides du corps en s’infiltrant dans les pores de la peau ou des organes, c’est à dire que l’odeur avait pris en elle-même un caractère pathogène. Après une réunion ayant rassemblé les échevins, des médecins et « les quatre plus fameux Me maçons de Marseille », le commandant Langeron qui, comme le Père Giraud, redoutait ce danger envoya les maçons rouvrir les caveaux pour y précipiter de la chaux avant de sceller la tombe « avec du plâtre blanc en examinant s’il n’y a aucunes crevasses ny ouvertures autour de la dite tombe pour les sceller ; et ne rien oublier de ce qui est nécessaire pour guérir de la crainte que l’on pourroit avoir dans la suitte, on a jugé à propos de ne plus ensevelir personne d’une année entière dans les dits caveaux » (Archives de Marseille, FF 182, 12 février 1721). Le plâtre blanc était moins cher que le plomb mais était-il aussi efficace ? En avril, le Père Giraud n’était toujours pas convaincu de l’absence de danger.
Les religieux avaient vainement protesté contre l’ensevelissement des pestiférés dans les caveaux de leurs églises dont Langeron avait fait enfoncer les portes pour accéder aux tombes. Si le Père Giraud remarquait qu’« il s’en falloit de beaucoup que l’on eut rempli tous les caveaux puisqu’il en resta encore un grand nombre auxquels on n’avoit pas touché », il insistait sur le danger de contamination des couvents contigüs : « quelque soin qu’on ait pris de bâtir les portes et les fenêtres de ces églises qui communiquent avec les religieux, les pierres ont été si mal posées sur les caveaux et on en a si mal bouché les fentes que malgré tous les parfums qu’on y a fait, la puanteur achève d’infecter ceux de ces maisons qui se sont soutenues jusqu’à présent. On ne pouvoit guère former de plus méchant dessein que d’ensevelir les pestiférés dans les églises : outre que les ayant ensevelis la plus part dans des couvertures de lit ou tout habillés, on n’osera de longtemps ouvrir ces caveaux » (Giraud, 1723, 201-202). Les sépultures étaient des sources de revenus et si l’on avait enterré davantage de morts dans « quelques fosses » qu’on aurait pu ouvrir dans ces cimetières ou à leur voisinage, « on auroit pas été si longtemps privé de l’entrée des églises et du privilège d’ensevelir dans les anciennes sépultures des familles », estimait encore le père Giraud.
La situation demeurait préoccupante et Langeron n’autorisa pas la ré-ouverture des églises avant le 19 août 1921.
Le Père Giraud :
« Le 15, M. l’évêque écrivoit à tous les recteurs des églises pour en demander les clefs. Leur défendant de dire la messe dehors en-avant dans les tambours, il leur permit de dresser des autels dans l’intérieur de leurs maisons ou de leur cloître pour satisfaire à la dévotion du peuple qui voudroit y aller assister au sacrifice, ce qui n’étoit plus un devoir.
« Quelque tems après, un officier porta le même ordre de la part de Mr de Langeron à tous les supérieurs des églises. Il prenoit en mauvaise part que M. l’évêque l’eut prévenu et qu’on luy eut déjà remis les clefs des églises. Ce qui obligea peut être Mr le commandant d’aller en personne accompagné d’une nombreuse suite de messieurs et de gardes défendre aux supérieurs des principales églises de la ville d’ouvrir leurs églises, sous peine d’être mis tous en quarantaine. Il permit néanmoins de célébrer la messe dans un lieu d’où le peuple peut l’entendre sans être enfermé.
« Depuis le mois d’août qu’on avoit enseveli les pestiférés dans quelques églises, on y avoit brûlé divers parfums, on les avoit nettoyées, elles étoient pourtant infectes, puantes et afreuses, pleines de grosses vilaines mouches noires qui se nourrissoient peut-être des cadavres parce que la plus part des caveaux avoient été mal bâtis. Le peuple qui n’y voit pas de si près ne laissoit pas d’y entrer par les petites portes, soit pour y entendre la messe que l’on disoit au tambour depuis quelque tems, soit pour assister aux autres messes que l’on célébroit aux autels principaux. Mr le commandant voulut remédier à cet inconvénient, il y avoit pensé un peu tard. Les hommes ne voient pas tout à la fois ».
« Le 28, on commença de cramponner les caveaux de l’église de Saint-Martin et d’en arrêter les crochets de fer avec du plomb fondu. Mais comme la ville en faisoit toute la dépense et qu’elle étoit considérable, on mit du plâtre blanc au lieu du plomb dans les autres églises où l’on continua de travailler de suite. Les soldats gardèrent toutes les portes des églises tant que les maçons y travailloient. On suivoit en tout cela moins les ordonnances de M. de Marseille que celles de Mr de Langeron ».
« Le 19 [août] à midi, on mit toutes les cloches de la ville en branle pour annoncer au peuple l’ouverture solemnelle des églises du lendemain. Le soir on fit la même chose, toute la ville fut en fête » .
